Les toits les plus insolites du monde

undefined 22 novembre 2018 undefined 19h10

Juliette Darmon Martinet

On a rencontré Olivier Darmon, auteur du livre Habiter les toits, qui nous fait découvrir l’incroyable histoire des toits désormais considérés comme des sols à part entière, dans le monde entier.

« C’est en 1883, à New York, que Rudolph Aronson lance la vogue des roofgarden », nous explique l'auteur. Ce producteur et musicien, propriétaire du Casino Théâtre de Broadway, a su convaincre un groupe d’investisseurs d’aménager son toit en salle de spectacle à ciel ouvert. « À New York, l’été est très chaud et la climatisation n‘existe pas à l’époque, les salles de spectacle sont étouffantes et désertées toute la saison », nous précise-t-il. Cette salle en plein ciel ne désemplit pas et ce projet marque le début d’un réel engouement pour les toits. Après avoir été adopté par d'autres théâtres, ce dispositif est adapté aux grands hôtels. Le projet est ensuite repris par les promoteurs des immeubles de logements de luxe de Madison Avenue ou de Park Avenue, et c’est ainsi que le penthouse apparaît. L'usage des toits jusqu'alors partagé, car destiné à la clientèle des théâtres et des hôtels, est désormais privatisé par les Penthouse. 

Le phénomène se développe différemment en France, où les premiers toits aménagés voient le jour dans les habitations bon marché. En effet, pour lutter contre les maladies qui se développent dans les logements insalubres, les hygiénistes recommandent une exposition au soleil et une circulation de l’air dans les logements. Les préceptes de ces scientifiques influencent la conception des logements sociaux. En 1903, l’architecte Henri Sauvage crée sur un immeuble HLM le premier toit solarium parisien. L’usage du toit-terrasse caractérise ensuite le travail des architectes du mouvement moderne dont Le Corbusier, Robert Mallet Stevens ou encore André Lurçat.


Crédit Wikipedia


Bien que cette attraction pour les toits soit loin d’être nouvelle, vous l’aurez compris, elle se généralise. Le phénomène s’accélère et cet engouement pour la hauteur affecte désormais toutes les catégories de bâtiment. L’explication ? Dans les villes de plus en plus peuplées, les citadins manquent de calme, d’air, d’espace, d’horizon, en clair ils étouffent. La colonisation des toits prospère et de nombreux acteurs en profitent aujourd’hui pour créer leur business. Les architectes, promoteurs ou municipalités aménagent, tandis que restaurateurs, horticulteurs, associations culturelles, street-artists et bien d’autres, s'y installent. Simultanément, l'effet de mode rooftopping ne cesse de "buzzer" sur les réseaux sociaux. Plus c’est haut, plus ça like ! Et ça, les amateurs de selfie l’ont bien compris. 


Nous vous avons sélectionné 10 projets sur les 35 développés dans le livre, qui nous semblent parmi les plus impressionnants.



Le toit de la casa Mila à Barcelone


Probablement le toit d’immeuble de logement le plus fréquenté au monde, et réalisé par Gaudi entre 1906 et 1910, il accueille aujourd’hui plus de 950 000 visiteurs par an, l’équivalent des populations de Nice, Nantes et Montpellier réunies. Conçu comme une galerie d’art à ciel ouvert, ses émergences techniques s’apprécient aujourd’hui comme des œuvres d’art. Le toit de la Casa Milà propose une promenade qui s’enroule autour des cours intérieures, et les visiteurs serpentent entre les trente cheminées, les deux tours de ventilation et les six cages d’escalier de l’immeuble.


© Flickr, Casa Milà de Gaudi



L’Opéra d’Oslo


Situé en bordure du fjord de la ville, l’Opéra d’Olso, conçu par l'agence Snøhetta, se développe sur 38 500 m2 en partie émergés, tel un iceberg. Son toit-place publique abrite 600 collaborateurs et trois salles de spectacle. En 2009, l'édifice a reçu le prix européen d'architecture contemporaine décerné par la Commission européenne et la Fondation Mies-Van-der-Rohe. Ses pans de marbre blanc obliques laissent imaginer des courses de pingouins et son point culminant à 32 mètres laisse admirer la beauté des rives du fjord. L’édifice inclut des magasins d’accessoires, des ateliers de fabrication de costumes, salles de danse et de répétition, et de vastes hangars dédiés à la construction des décors.


© Snøhetta architects, Opéra d'Oslo



L'usine Fiat Lingotto de Turin


Le circuit automobile en toiture de l’usine Fiat Lingotto de Turin achevée en 1922 a hissé le bâtiment au rang d’icône de l’architecture industrielle. Le dernier étage abrite la chaîne de montage final des véhicules qui sont testés sur la piste d’essais culminant sur l’immeuble. L’usine sera fonctionnelle jusqu’en 1982 avant d’être reprise en 1985 par Renzo Piano et métamorphosée en espace multifonction. Galeries commerciales, palais des congrès, cinémas, hôtels, musées, bureaux, etc etc... On retrouve aujourd’hui un réel espace culturel sur le toit du Lingotto : la Pinacothèque Giovanni et Marella Agnelli qui regroupe la collection de peintures de Giovanni Agnelli (Manet, Modigliani, Picasso, Matisse etc), copropiétaire et mythique patron de Fiat entre 1966 et 1996.


© Centro Storico Fiat, l'usine Fiatt Lingotto de Turin



Le centre de conférence de Fukuoka au Japon


Acros, le centre de conférence de Fukuoka au Japon, est devenu une référence mondiale en matière d’intégration de la nature dans la ville. L’architecte Emilio Ambasz souhaite préserver la verdure existante du site en construisant ce toit dans le prolongement du parc de manière à créer un espace végétalisé continu. Ses quatorze niveaux génèrent un espace vert de 5 400 m2 ouvert au public. Avec plus de 120 variétés de végétaux, le dispositif de ce bâtiment trapézoïdal accroît le confort thermique du bâtiment et réduit sa consommation énergétique. Auditorium de 2 000 places, hall d’exposition, musée régional, salle de conférence, 55 000 m2 de bureaux, commerces et parking sont nichés au cœur de cet édifice. Sans parler des terrasses profondes aménagées en espaces de repos qui sont traversées par une cascade dont le ruissellement masque et étouffe les bruits de la ville.


© Emilio Ambasz & Associates, le centre de conférence de Fukuoka au Japon



Musée d’art contemporain d’Aarhus au Danemark


Le rainbow Panorama, ou toit-terrasse du Musée d’art moderne et contemporain d’Aarhus, est couronné par une installation permanente d’Olafur Eliasson. Connu comme l’un des plus grands musées d’Europe du Nord, ce projet de passerelle circulaire aux vitrages teintés selon les couleurs de l’arc-en-ciel n’a fait qu’augmenter sa fréquentation. Le parcours de 150 m fonctionne comme une table d’orientation et divise la ville en zones de couleur en offrant aux visiteurs un point de vue étonnant et différent sur la ville et l’arrière-pays, les docks et la mer. Ce qui est intéressant, c’est de voir comme cette installation joue sur la persistance rétinienne en s’appuyant sur la relation entre la perception des couleurs et le mouvement. L’allure de la visite affecte également notre vision.


© Ole Hein Pedersein - Olafur Eliasson, musée d’art contemporain d’Aarhus au Danemark



L’université Ewha de Séoul en Corée du Sud


Ce bâtiment invisible de l’université Ewha est un vrai morceau de nature au cœur de Séoul. En faisant disparaître les deux volumes de la construction, la végétalisation des toitures produit un paysage vallonné. Cette université féminine et prestigieuse d’Asie a souhaité réaliser un espace multifonctionnel pour la réalisation de son campus et ses 22 000 étudiantes. Il s’agissait de créer un lieu convivial de rassemblement pour les élèves et d’ouvrir l’université sur la ville. Les deux bâtiments de métal et verre symétriques, semi-enterrés et implantés en vis-à-vis sont séparés par un grand vide central de 200 m baptisé "La Vallée", conçu comme un espace public. Le programme se déploie sur 70 000 m2 et six niveaux, dont deux sont des parkings enterrés. Au niveau 4, on retrouve une galerie marchande, une banque, une fitness-club, un cinéma et une salle de spectacle.


© Gaëlle Lauriot-Prévost - Dominique Perrault Architecture, l’université Ewha de Séoul en Corée du Sud



Parking "Park’n Play" de Copenhague au Danemark


Situé à 24 m du sol, le toit du Park’n’Play de Copenhague (2400 m2) est une vraie aire de jeux pour enfants. Balançoires, filets d’escalade, cordes à grimper, barres fixes, sol mou pour la gymnastique et autres réjouissances font le bonheur de nombreux bambins, mais aussi de leurs parents. Un espace urbain actif et attractif qui représente bien cette nouvelle génération de parkings silos. Enfants, adolescents, parents, sportifs ou simples curieux se bousculent pour découvrir cette typologie de parking peu habituelle. Accessible via deux escaliers, ce parking participe pleinement à l’attractivité du quartier de Nordhvan, une zone portuaire délaissée du Nord de la ville. La couleur vermeille des rampes d’escaliers représente l’élément signalétique du dispositif et fonctionne comme le fil rouge guidant vers la toiture et se transforment en sculptures pour fabriquer celles des jeux.


© Rasmus Hjortshøj - JAJA architects, parking « Park’n Play » de Copenhague



Les Wrigley Rooftops de Chicago aux États-Unis


À Chicago, pas moins de seize immeubles bénéficient d’une vue plongeante sur le terrain du stade de base-ball de la ville, le Wrigley Field. Le goût des Américains pour le base-ball n’est pas nouveau, et c’est avec l’essor de la télévision et de la médiatisation grandissante de ce sport que les riverains de ce quartier commencèrent à convier leurs amis pour regarder les matchs depuis leurs toits-terrasses. Un barbecue et quelques chaises pliantes et la soirée pouvait commencer. Mais à mesure que la fréquentation du stade augmentait, ces espaces en hauteur furent à leur tour de plus en plus convoités. Certains fanatiques commencent à proposer aux propriétaires de louer leurs toits pour des prix alléchants. Dans les années 80, les accès aux toits furent alors dûment monnayés et les propriétaires investirent même dans des superstructures métalliques pour installer des gradins. La direction du stade n’apprécie pas et en 2002 la guerre est déclarée : des écrans brise-vue sont installés par le club jusqu’à ce le Wrigley Field et les propriétaires trouvent un accord en 2004. Et bien que la question de savoir à qui appartient la vue reste encore houleuse aujourd’hui, le stade a racheté 11 des 16 immeubles concernés.


© Flickr, les Wrigley Rooftops de Chicago



La friche La Belle de Mai de Marseille en France


C’est l’une des plus belles places publiques de Marseille. Juchés à 30 m de haut sur le toit d’un bâtiment industriel de la Friche de la Belle de Mai, ses 8000 m2 dévoilent un panorama époustouflant sur la ville et les collines. Ce site gigantesque de production de cigarettes désaffecté depuis 1990 est scindé en trois entités : l’îlot 1 consacré à la conservation et la restauration, l’îlot 2 abritant le pôle média, et l’îlot 3, le pôle culturel. Cette friche accueille 70 structures et propose jusqu’à 600 activités chaque année, du bar à cocktails aux jeux pour enfants, concerts, DJ sets, séances de cinéma en plein air, ateliers de danse, ou simple bronzette sur des chaises longues l’été... Le but est de créer un quartier dédié à la culture, un morceau de ville participatif ouvert à toutes les disciplines et mêlant espaces de travail, espaces publics, résidences d’artistes, ateliers et salles de spectacle, entre autres.  


© Caroline Dutrey – ARM Architecture, la friche la Belle de Mai de Marseille



Marina Bay Sands de Singapour à Singapour


Sans doute l’un des plus célèbres, l’hôtel 5 étoiles Marina Bay Sands de Singapour fait fantasmer les touristes avec sa piscine en forme de coque de paquebot perchée à 200 m d’altitude. Véritable enseigne publicitaire, elle est la pièce maîtresse du Skypark, transplanté au 57e étage du bâtiment. Cette piscine à débordement de 150 m est ornée de palmiers, saupoudrée de restaurants et pailletée de bars, et devient même l’hôtel le plus instagrammé en 2017. Ce toit-piscine couronne trois tours composant des hyperboles jumelles. En plus de milliers de chambres, le Marina Bay propose des boutiques par centaines, une pléiade de restaurants et un casino géant, le tout dans un registre technophile et durable en phase avec l’image de Singapour. Cependant, ne vous excitez pas trop vite, car afin de préserver le caractère privilégié de ce palace, l’époustouflante piscine est strictement réservée à la clientèle de l’hôtel... Et la plate-forme d’observation ouverte au public est accessible à condition de payer les 14€ d’entrée.

© Shutterstock, Marina Bay Sands


Comme le dit Le Corbusier, dans la Théorie du toit-jardin, « De tout temps, l’homme a cherché à monter sur son toit », et ce n’est certainement pas aujourd’hui qu’on va s’en empêcher.


Pour en apprendre davantage sur ces toits architecturaux majestueux aux quatre coins du monde, poursuivez votre lecture avec Habiter les toits, d’Olivier Darmon, éditions alternatives (32€), dans lequel il développe 35 projets qui dressent le panorama de cette nouvelle architecture des hauteurs.


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Couverture du livre Habiter les toits